
Entretien avec Anna Mlasowsky, Artiste (décembre 2014)
VERSION FRANCAISE
MF : Chère Anna Mlasowsky. Vous êtes artiste et vous utilisez le verre, entre autres matériaux. Vous expérimentez beaucoup, si je peux dire. J’ai découvert votre travail dans le cadre du Coburg prize for contemporary glass 2014 (vous avez reçu le prix Otto Waldrich pour les jeunes artistes) et vous êtes la première bénéficiaire de la subvention Technology Advancing Glass1http://www.glassart.org/2014_TAG_Grant_.html 2014 de la Glass Art Society (avec Erin Dickson, Markus Kayser, et d’autres). Nous avons commencé une recherche concernant les créations contemporaines alliant verre et nouvelles technologies "à l'ère numérique". Et c’est pourquoi je vous ai proposé de participer à notre étude. Nous sommes actuellement dans la première phase du projet. Pendant cette première phase, nous recherchons des créations et des artistes, nous essayons de faire la liste de ces nouvelles technologies, pratiques et usages, nous suivons les pistes, nous réalisons des interviews, nous recueillons données, nous listons les différentes problématiques. L'idée est d'observer ce qui se passe quand verre et nouvelles technologies sont combinés (esthétique, artistique, poétique, plastique, symboliques, les dimensions de porte-parole). Pour commencer, je tiens à vous poser une simple question: Quelles sont les nouvelles technologies que vous utilisez et pourquoi avez-vous choisi ces nouvelles technologies ? Quelle est la place des technologies digitales dans vos travaux ? Les nouvelles technologies generent des formes, des idées ? Or vice versa ? Ou il y a toujours un équilibre subtil entre idées, formes, et nouvelles technologies ?
AM : Pour être claire, à ce jour, je n'ai pas encore utilisé de nouvelles technologies dans mon travail, mais j'ai commencé à développer une nouvelle technique de pâte de verre basée sur le processus d’impression d’objets en verre en 3D. Dans le cadre de ce projet je vais utiliser deux nouvelles technologies différentes, la découpe laser et la modélisation 3D. Ces deux techniques ne sont pas spécifiquement liées au verre, elles sont plutôt des outils de modélisation rapide. Les formes seront modifiées et affinées dans Rhino (logiciel de modélisation 3D) puis transférées dans Grasshopper (générateur algorithmique) pour créer un gabarit. Le laser de découpe permettra de réaliser des gabarits en carton dont la fonction est de constituer un échafaudage pour les pièces.
La question n’est pas tellement de savoir si oui ou non je voulais travailler avec une technologie particulière, mais plutôt de savoir ce que la technologie pouvait m’apporter pour réaliser mes pièces ou en d'autres mots, qu'est-ce que le processus que je suis en train de développer me requerrait d’utiliser. Donc, dans ce cas, c’était le processus qui exigeait que j’utilise certaines technologies, pas ma curiosité pour la technologie.
Honnêtement, je pense qu’un travail fait dans le but d'utiliser les nouvelles technologies sera moins porté sur le contenu et la forme que sur l'intention première de sa réalisation. Ce travail sera plus marqué par le potentiel d'utilisation de telle ou telle technologie et finalement les pièces réalisées seront artistiquement moins pertinentes, mais attractives, grâce à la curiosité et la nouveauté qu'elles représentent. Je préfère personnellement une œuvre qui ne révélerait pas immédiatement l'étendue de la technologie employée. Je souhaite voir dans l’avenir plus d'artistes capables d’accéder aux technologies numériques, ce qui, je pense, est en train de se passer dans de nombreuses universités bien équipées proposant une formation de qualité, appropriée, dont des cas pratiques de résolution de problèmes sont abordés en cours et avec des technicien, et qui présentent des cas de figures spécifiques et leur résolution dans des cours avec des techniciens.
MF : Que pouvez vous dire de l’impact des nouvelles technologies dans les créations en verre aujourd’hui ? Pensez vous que les nouvelles technologies peuvent « enrichir » la création en verre ?
AM : Je pense que les technologies numériques peuvent potentiellement aider les artistes à faire leur travail, mais je les vois toujours comme outil technique et non une source de créativité. Le TED Talk (Technology, Entertainment and Design) de Michael Hansmeyer2http://www.ted.com/talks/michael_hansmeyer_building_unimaginable_shape est un exemple qui nous montre comment la technologie numérique peut être utilisée comme une source de créativité. Mais comme il le dit, il faut encore dépasser certaines limites afin de les rendre finançables et utilisables. L'implication dont il fait preuve dans sa pratique indique qu’il s’y attèle sérieusement. C’est ce qu'il fait, il est - pour inventer un terme - un designer axé sur la technologie.
Je sais que l'implication dans l'apprentissage des outils numériques, les coûts de fabrication des objets fabriqués par ordinateur et pour la plupart limités dans leurs dimensions, rendent ces technologies moins attrayantes pour beaucoup de personnes. Je souhaite à l'avenir qu’une approche plus interdisciplinaire entre les champs de l'art, du design, de la science et de l'ingénierie puisse produire des travaux passionnants. Je ne veux pas parler spécifiquement du verre, car tous les sujets que je mentionne affectent universellement les personnes ou les matériaux utilisés dans les technologies numériques.
MF : Quelles sont les limites dans l’usage des nouvelles technologies dans l’art du verre aujourd’hui ?
AM : Les limites telles que je les vois aujourd'hui sont:
- Le manque de programmes éducatifs, dans les départements verre, pour initier les étudiants aux potentiels de ces technologies (la fabrication de moules, le prototypage rapide, la recherche de formes, etc.).
- Le fait que l'art du verre n'a pas surmonté que son statut soit réduit au soufflage du verre. Il doit être dit que le soufflage du verre pourrait trouver beaucoup d'applications grâce à l’usage des nouvelles technologies, à leur avantage. Tant que la nouvelle génération d'étudiants n'aura pas la curiosité de dépasser le soufflage du verre, les nouvelles technologies, ou même le verre en tant que matériau artistique, ne pourront pas advenir comme une part importante de cette pratique.
- La capacité des industries ou d'autres disciplines à trouver de nouvelles voies créatives devrait faire fusionner connaissances technologiques intention créative. L'industrie du verre a développé un certain nombre de produits étonnants, inaccessibles pour les artistes qui font usage du verre. Si ces limites s’atténuaient, les artistes pourraient interagir davantage avec ces nouveaux matériaux et éventuellement pousser plus loin leurs applications.
- En matière d’impression 3D en verre, la plupart des artistes ne sont pas formés à utiliser les technologies de rendu des fichiers, n'ont pas les moyens financiers pour acquérir des logiciels aux coûts démesurés, et se trouvent face à des limites de format autant que de résolution des pièces finies qui est plutôt décevante. Faire à la main permet encore de modifier les détails en cours de route et de mettre à l’échelle de tout ce qui est humainement possible. Je suis d'accord, la plupart du temps, avec la question généralement posée : pourquoi faire à l'ordinateur ce qu’il est possible de faire à la main ?
MF : L’usage des nouvelles technologies devrait être accompagné par une réflexion critique sur les nouvelles technologies elles-mêmes, en termes social, politique, écologique, économique ?
AM : La diffusion des nouvelles technologies a déjà montré qu'elles ont la capacité de créer des problèmes presque incontrôlables. A une époque où vous pouvez acheter une imprimante 3D sur catalogues à bord des avions (au moins ici aux États-Unis, vous pouvez), cela donne potentiellement accès à des technologies et des sites open source qui fournissent des fichiers fiables pour imprimer des pistolets par exemple3http://www.forbes.com/sites/andygreenberg/2013/05/05/meet-the-liberator-test-firing-the-worlds-first-fully-3d-printed-gun/.
Mais au-delà de cet exemple extrême critique le fait que tout ne soit pas disponible sur Internet pose crée une situation ingérable incontrôlable, comme le fait de ne pas pouvoir retrouver tous les fichiers open source parmi les 644.275.754 millions de sites actifs sur Internet. Permettez-moi de m’appuyer sur un exemple. Les montures de lunettes sont déjà imprimables à la maison. Maintenant, si vraiment tout le monde le faisait, ce serait faire une brèche dans un secteur et si nous appliquions cette réflexion à une plus grande échelle cela pourrait entraîner des changements importants dans l’économie. Mais en réalité, les technologies 3D abordables d'aujourd'hui ne fonctionnent pas encore assez bien pour engendrer effectivement de tels problèmes.
En tant qu'artiste, mes préoccupations sont d'une nature différente. Objets imprimés en 3D, moules découpés via des machines contrôlées numériquement (cnc cut molds), ou les modèles découpés au laser ont un contour généré par ordinateur. Les formes ne contiennent pas de contours lisses et un visage imprimé manque de détails et de caractère, comme des personnages animés manquent d’expressions nuancées. Ce manque de finesse dans les détails et le fait que nous acceptions cela affecte inconsciemment nos attentes sur les objets tangibles.
L'empressement de faire des compromis formels pour assouplir les limites des outils technologiques (rayon de la lame pour les moules coupés contrôlés par ordinateur qui définissent les bords sous forme de courbes rondes, incapacité à faire des contre-dépouilles) plutôt que de faire ces formes à la main est ce qui me préoccupe en tant qu’artisan. Lorsque vous sculptez un objet, vous vous engagez avec lui physiquement et impliquez une grande partie de votre temps.
Pendant ce processus, de petits détails sont modifiés, ce qui est le résultat du processus de création. Cela vous donne aussi du temps pour penser à la pièce. Quand tout est fait sur l'ordinateur tout ceci est lointain. J’ai parlé à un membre de la famille qui est un enseignant en numérisation 3D, fraisage CNC (controlé numériquement) et découpe laser dans un département d'art. Il exprimait sa frustration car des étudiants viennent avec des formes simples à modeler qu'ils préfèrent scanner en 3D puis imprimer dans un autre matériau, car ils manquent de patience et n'utilisent pas leur intelligence et leurs mains pour comprendre. Heureusement, dit-il, il y a aussi ceux qui ne savent rien de ces technologies et abandonnent facilement quand ils voient que vous ne scannez pas juste quelque chose, comme ça, tout en faisant autre chose ou en dormant.
Je suis enthousiasmée par les technologies numériques pour ce qu'elles nous permettent de faire et que nous ne pouvions pas faire avant, et non pas en tant qu’outils qui remplacent ce que nous pouvons faire de mieux à la main.
VERSION ANGLAISE :
MF : Dear Anna Mlasowsky. You are an artist and you use glass, among other materials. You experiment a lot, If I can say. I have discovered your work in the context of the Coburg prize for contemporary glass 2014 (you have received the Otto Waldrich-Award for young artists) and you are the top recipients of the 2014 Technology Advancing Glass Grant4http://www.glassart.org/2014_TAG_Grant_.html (with Erin Dickson, Markus Kayser, and others). We have began a research concerning contemporary creations combining glass and new technologies “in the digital age”. And it's why I have proposed to you to participate in our study. We are currently in the first stage of the project. During this first phase, we are looking for creations and artists, we are trying to do the list of these new technologies, practices and uses, we are following the tracks, we’re making interviews, we are collecting datas, we are listing the different problematics. The idea is to observe what happens when glass and new technologies are combined (aesthetic, artistic, poetic, plastic, symbolic, critic dimensions). To begin, I want to ask you a simple question : Which new technologies you use and why did you choose these new technologies ? What is the place of digital technologies in your works ? New technologies generate forms and ideas ? Or vice-versa ? Or there is always a subtle balance between ideas, shapes and new technologies ?
AM : To be clear, I have not yet used any new technologies in my work, but I have started to develop a new pate de verre technique based on the process used in 3d printed glass. In the course of this project am I going to employ two different new technologies, laser cutting and 3d modeling. Both of those techniques are not immediately used to make anything of glass, but they rather function as a fast modeling tool. Shapes will be altered and refined in Rhino and thereafter transfer in Grasshopper into a template. The laser cutter will cut the cardboard templates which function as scaffolding for the pieces.
It is not so much a question of whether or not I wanted to work with a technology but what technology will allow me to make my pieces or in other words, what does the process I am trying to develop require me to use. So in this case it was the process that demanded certain technologies to be used in order to make it more feasible not my curiosity for technology.
I honestly think that work that is made in order to use new technology will be less focused on its content and form, as well as its reason to be made in the first place. It will be more concerned with what you can make using this or that technology and ultimately those pieces result in less thoughtful artwork that gather attention through curiosity towards the novelty they present. I personally prefer artwork which might not immediately reveal the extend of technology employed. I hope to see in the future more artists being able to access digital technologies, which I think is happening through many well equipped Universities that offer detailed instructions and problem solving through technicians and classes.
MF : What can you say about the impact of new technologies in glass creations today ? Do you think that new technologies can enrich the glass creation (aesthetic, artistic, formal, dimensions) ?
AM : I think digital technologies can potentially help artists to make their work, but I do still see it as a technical tool and not a creative source. The TED Talk by Michael Hansmeyer5http://www.ted.com/talks/michael_hansmeyer_building_unimaginable_shapes is an inspiring example for how digital technology can be employed as a creative source, but as he said, the limits are still to narrow in order to make them financeable and useable. As well as the involvement he is presenting in his practice indicates that he is not just doing this easy on the side. This is what he does, he is-to invent a term- a technology based designer.
I know that the amount of involvement into learning digital tools, the costs of producing a computer made object and the size limits existing for most of these, are making it less attractive for many people to get involved. I hope in the future that a more cross-disciplinary approach between fields of art, design, science and engineering could produce exciting work. I don’t like to talk specifically for glass as many of the topics I am mentioning are universally affecting anyone or materials used in digital technologies.
MF : Which are the limits in the use of digital technologies in glass art today ?
AM : Limits as I see them today are:
- The lack of educational programs, that provide glass education, to introduce students into the potentials of using those technologies (mold making, rapid prototyping to find shapes etc.).
- The fact that glass art hasn’t overcome its status of being no more than glass blowing. Here is to say that glass blowing could find plenty of applications in use of new technologies for their benefit. As long as the new generation of glass students isn’t interested in learning more than how to become a glass blower new technologies or even just glass as an artistic material wont be able to become an important part of this practice.
- The ability of industries or other disciplines to find new creative paths would merge technological knowledge and creative intention. The glass industry has developed a number of astonishing products, which are inaccessible for glass artists to use. If those boundaries would become more faint artists would easier interact with those new materials and possibly push their application further.
- In terms of 3d printed glass- most artists are not educated to use the technologies to produce the files, have the financial situation to buy unreasonably expensive software and will find the size limitations as well as resolution for the finished pieces rather disappointing. Making by hand still allows one to change details along the way and scale it up to whatever is humanly possible. I mostly agree with the generally asked question about why to make it on the computer when you can make it by hand?
MF : The use of new technologies should be accompanied by critical reflection on new technologies themselves in social, political, ecological, economic, terms ?
AM : The distribution of new technologies has already proven to have the ability to create nearly uncontrollable problems. In a time were you can buy a 3d printer in the inflight shopping magazine on the airplane (at least here in the US you can) gives potentially access to technologies and open source sites that provide idiot-proof files to print for example guns6http://www.forbes.com/sites/andygreenberg/2013/05/05/meet-the-liberator-test-firing-the-worlds-first-fully-3d-printed-gun/.
But besides this very severe example does anything distributed on the internet pose an uncontrollable situation, as there is no way to find every open source file when the internet has 644,275,754 million active sites. Lets play this on an example. Frames for glasses are already printable at home. Now if really everyone would do that, it would make a dent in an industry and if spinning this thought to larger extends it could mean significant changes in economical situations. As of today, are affordable 3d technologies not yet functioning well enough to actually create those problems in reality.
As an artist my concerns are of a different nature. 3d printed objects, cnc cut molds or lasers cut models bear a computer generated outline. Forms contain no smooth outlines and a printed face lacks detail and character, as animated characters lack nuanced expressions. This lack of fine details and our general consent to it are unconsciously effecting our expectations in tangible objects.
The willingness to make formal compromises to facilitate the boundaries of the technologic tools (radius of the blade for cnc cut molds that define edges as round curves, inability to do undercuts) rather than making those shapes by hand is what makes me worried as a maker. When you sculpt an object, you engage with it physically and involve a great deal of your time.
During this process small details are altered as the result of a creation process. It does also give you time to think about the piece. This is taken away from you when all done on the computer. I have been talking to a family member who is a teacher for 3d scanning, cnc milling and laser cutting in an art department. He expresses his frustration of students who come with simple shapes to model which they instead want 3d scanned and then printed in another material because they lack the patience to use their head and hands to figure it out. Luckily, he says, are those also the ones that know nothing about those technologies and give up easily when they see that you don’t just scan anything like that while asleep.
I am excited about digital technologies for what they offer us to do that we couldn’t do before, not for them being a tool to replace what we can do better by hand.
Photo : Anna Mlasowsky, Untitled Blue. Pâte de verre, 2014.
Notes