Entretien avec Antoine Brodin, Artiste (Avril 2015)

Entretien avec Antoine Brodin, Artiste (Avril 2015)


MF : Cher Antoine, nous avons engagé, avec Oudeis, dédiée aux arts numériques, médiatiques, électroniques, (y compris du côté aussi de la théorie critique sur les nouvelles technologies) une recherche à propos des créations actuelles combinant le verre et les nouvelles technologies. L’idée est d’observer ce qu’il se produit des points de vue esthétique, artistique, plastique, symbolique, quand des artistes choisissent de combiner ces deux champs. Nous nous intéressons bien évidemment également aux raisons de cette association qui peut prendre des formes extrêmement variées.

Il est entendu que de nombreuses questions jaillissent, qu’il conviendra d’agencer après réception d’un ensemble d’entretiens, sur les rapports entre art et technologies, art et science, histoire du verre (qui se situe toujours entre art et science), usage du verre dans l’art et dans le design, particularités physico-chimiques du verre, l’intérêt des nouvelles technologies dans l’art ou le design du verre, et fonction des œuvres, des questions de sens, d’éthique, de discours pourquoi pas poétiques, sociaux, politiques (mais également, comme déjà mentionné esthétiques, plastiques, symboliques, etc.). Sans oublier que l’expression « nouvelles technologies » recouvre plusieurs acceptions. Sans oublier non plus que chaque œuvre est polysémique et que chaque artiste trouve son propre équilibre en jonglant avec toutes ces dimensions. Sans oublier encore que nous sommes à l’ère du numérique, et dans une période passablement complexe, riche d’enjeux et de perspectives, tout aussi passionnante qu’effrayante, ce qui soulève de nombreuses questions éthiques ou philosophiques, voire sociales et politiques (sur l'usage des nouvelles technologies compte tenu des problématiques en termes économique ou écologique par exemple, mais également sur la révolution technologique qu’aimeraient voir advenir certains). Questions de sens, de formes, d'enjeux poïétiques, donc, mais également des questions philosophiques.

Je t’ai donc contacté pour plusieurs raisons, parce que tu es artiste, parce que tu fais usage du verre, pour le regard singulier sur l’art dont tu as fait part lors de nos rencontres, et parce que tu as récemment utilisé des technologies numériques dans ton travail. Ma première question sera donc la suivante. Quelles sont les nouvelles technologies que tu utilises et pourquoi as-tu choisi ces nouvelles technologies ?

AB : Je ne suis pas ce qu’on pourrait à proprement parler un inconditionnel des nouvelles technologies. Elles n’ont pas une place prépondérante dans mon travail mais je reste curieux, à l’affut de ce qui pourrait enrichir ma pratique et c’est en septembre 2013 que j’en ai vu le potentiel. C’est à travers ma dernière série de pièces que je peux en mesurer l’impact. L’idée était de partir d’un minuscule crâne d’oiseau trouvé sur un sentier, de le photographier pour le modéliser en 3D et d’envoyer le fichier vers une fraiseuse afin de tailler le maître modèle d’un moule à grande échelle. Une fois la pièce soufflée et sculptée à chaud il y a un 2ème travail de sculpture à froid par sablage. Je vectorise alors des motifs de moucharabieh pour faire des pochoirs en vinyle grâce à un Plotter de découpe et créer une cage, un écrin, en traversant le verre. Les premières formes de cette série s’approchaient plutôt du spermatozoïde, de la seiche ou du poulpe, puis la série a évolué vers ce crâne d’oiseau par association d’idée, ballade dans la nature et rencontre avec le FabLab du Cerfav. Tout s’engendrant mutuellement...

MF : Tous azimuts, que peux-tu dire au sujet de l'impact des nouvelles technologies dans tes créations ou plus largement dans les créations en verre aujourd'hui ? Penses-tu que les nouvelles technologies peuvent « enrichir » la création en verre (dimensions esthétiques, artistiques, formelles, plastiques) ? Vois-tu des limites, ou des critiques à faire concernant l'utilisation des nouvelles technologies / technologies numériques dans l'art du verre aujourd'hui, y compris d’un point de vue économique, ou politique ?

AB : Je suis conscient que les technologies numériques ne datent pas d’aujourd’hui mais leur utilisation se démocratise et leur accessibilité, la diminution du prix des machines, va engendrer de fait de nouvelles approches et créativités.

Elles sont, avec les nouveaux médias, des outils que j’accepte d’utiliser car ils sont incontournables dès lors que l’on souhaite enrichir son travail et le partager à un plus grand nombre. Le problème de ces sphères partagées induit un paradoxe : nous avons accès à la création d’autrui en direct, chacun poste ses idées et réalisations comme une volonté narcissique d’exister et nous constatons que nous ne sommes pas les seuls à travailler tel ou tel concept, ce qui est métaphysiquement intéressant, mais en même temps nous sommes confrontés à une dilution de notre capacité à nous recentrer sur notre imagination et nous abandonnons l’exploration en profondeur. Nous sommes dans une ère de récupération, détournement et plagiat permanent où l’esthétique de surface a pris le dessus pour devenir de la décoration sans éthique.

On pourrait penser, comme à chaque évolution, que les avancées techniques vont supplanter la main de l’homme. L’Occident diabolise son rapport aux machines. Il voit rarement la liberté qu’elles peuvent lui offrir mais plutôt la nouvelle aliénation qu’elles engendrent. Pour ma part elles sont arrivées à un carrefour de mon travail et m’ont permis de développer et affiner un processus. Dans ma pratique, ces aller-retour ont été nécessaires pour ma nouvelle série de pièces...l’idée rejoignant par nécessité la technique et cette genèse, ce processus, a enclenché une réflexion : un jeu sur l’ambiguïté des nouvelles technologies et de la main de l’homme qui, en créant ces vanités (crâne d’oiseau finement ciselé), réveillent l’intelligence animale. La boîte crânienne devient alors un écrin, une cage protégeant cette intelligence, toujours plus mystérieuse à mesure que l’on en découvre l’étendue...

Malgré les prototypes prometteurs d’une imprimante 3D se servant de verre chaud (expérience menée au MIT) et la numérisation des outils....la main de l’homme et son savoir-faire (je parle ici du verre soufflé) reste dans la mémoire des observateurs comme une danse. Cette danse en équipe est la partie chaude. Il n’y a pas de limites à la créativité de ces nouvelles technologies mais je crains qu’elles en refroidissent le processus.

J’aimerais toutefois faire part d’une expérience. J’ai assisté, il y a peu, à une expérimentation qui m’a laissée de marbre : après la programmation et l’encodage, des capteurs ont été posés sur les mains et la bouche du souffleur, les informations retransmises sur écran selon des codes couleurs, et le tout relié à une lampe et une série de LED. Ces LED s’allumant, se colorisant en fonction des gestes. La courbe de données qui est celle de la fabrication d’une pièce soufflée est enregistrée et servira de base à l’illumination du socle où sera posée ladite pièce et la définissant comme étant son «pouls»...http://www.makery.info/2014/11/25/le-glass-fablab-reinvente-le-metier-de-verrier-dart/

Je trouve très étrange qu’une formation comme celle dispensée au Cerfav n’ai plus d’intervenants, que la transmission passant par l’humain a été délaissée pour faire place à des cours sur le numérique. Ce rapport très froid à la matière va à l’encontre du verre chaud ! Les deux doivent coexister pour prendre tout leur sens.

Il va très certainement y avoir des courants, des écoles, certaines plutôt formelles, conceptuelles, d’autres plutôt esthétiques... L’expérimentation par la découverte de nouveaux jouets n’engendre pas que de nobles résultats mais c’est une nouvelle friche à investir...

D’un point de vue économique l’avantage réside dans la rapidité d’exécution et de création d’une forme complexe ou préexistante (comme mon crâne d’oiseau par exemple) pour la réalisation d’un moule, mais cela suppose la maîtrise de compétences en matière de logiciel, ce qui peut être chronophage.

Le concept originel du FabLab est un lieu d’expérimentation gratuit ouvert sur de grandes plages horaires... L’Open Source se veut libre de droit et par définition n’accepte aucun contrôle ainsi la réflexion politique qu’engendre ces outils n’a pas lieu d’être (même si cette réflexion vient d’un fait divers - la création d’arme à feux grâce une imprimante 3D- ce n’est qu’un épiphénomène).

Les FabLabs et leur Open source souhaitent parasiter toute volonté de contrôle commercial (possibilité de créer ses propres besoins en court-circuitant les monopoles, avec le risque d’un superflu de gadgets inutiles) et par là-même étatique. Paradoxalement ils sont majoritairement financés par ces mêmes instances...

L’idée de l’Open source des FabLab rejoint pour moi une idée centrale, plus globale qui est celui de la mutualisation (savoir-faire et compétences, ateliers et outils...) qui dans le tissu social actuel trouve un écho de plus en plus fort.

Photo : Antoine Brodin, Le roi des oiseaux, 25 x 23 x 50 cm, crédit photo François Golfier.