Entretien avec Augustin Scott de Martinville, Designer, enseignant à l’ECAL (janvier 2015)

Entretien avec Augustin Scott de Martinville, Designer, enseignant à l’ECAL (janvier 2015)


MF : C’est en tant que chef du projet Heart of glass1http://www.ecal.ch/fr/100/homepage - http://heartofglass.ch, designer, artiste, et chercheur, que je vous livre ces quelques questions concernant notre étude « penser les rapports entre verre et nouvelles technologies dans la création élargie ». Toutes les configurations nous intéressent, transformation du matériau grâce à des procédés numériques, combinaisons verre et électronique, machines créatives, approches symboliques, plastiques, esthétiques, la façon dont le design prend en charge cette question, et bien entendu, plus loin, l’ensemble des questions que l’expression « nouvelles technologies » soulèvent aujourd’hui, depuis celle de l’impact des nouvelles technologies sur la mise en œuvre, les savoir-faire, à celle des ressources et de l’énergie, en passant par la question de la technologie, toujours entre « gain » et « perte », entre « émancipation » et « domination ». Je vous laisse observer les lignes directrices de notre étude et les participants sur notre site internet : www.oudeis.fr. Voici donc quelques questions, pour débuter. N’hésitez pas à ne répondre qu’à certaines ou à détourner celles-ci.

Tout d’abord, pouvez-vous nous dire quelques mots sur le projet Heart of glass, ses enjeux, perspectives, et la façon dont les nouvelles technologies y sont employées, envisagées, explorées, abordées, pensées ?

ASDM : Heart of Glass est un projet de recherche mené au sein du département de Design industriel et de produits de l'ECAL entre 2012 et 2014. Ce projet était articulé autour de quatre workshops qui, en suivant des objectifs distincts, visaient à interroger les potentialités du verre dans la création contemporaine en design. Ce projet a également constitué une occasion de mettre en place un modèle original dans le domaine de la recherche-création qui place les étudiants au centre du processus. Les résultats sont présentés au travers d’une exposition, d’un catalogue et d’un site Web organisé selon un système de classement taxinomique.

Les étudiants étant au centre du processus de recherche, les nouvelles technologies ont été utilisées à toutes les étapes du projet. Qu’il s’agisse de modélisations de moules réalisés grâce à des logiciels 3D, de pièces fraisées par CNC, de gabarits découpés au laser, ou de formes imprimées en 3D, ces outils sont habituels pour les étudiants, au même titre qu’une règle, un compas ou une feuille de papier.

MF : A votre sens, qu’est-ce que les nouvelles technologies sont en mesure d’apporter, selon vous, dans la création en verre (design et arts du verre) et dans la recherche dans ce champ ? De nouvelles pratiques ? De nouvelles manières de faire, de créer, de penser, d’imaginer, de montrer, de ressentir ?

ASDM : Les nouvelles technologies ayant bouleversé nos modes de vie, elles ont également changé la manière de travailler des designers. Un des workshop du projet, Mould Machine, avait précisément pour thème d’explorer les raccourcis offerts par les nouvelles technologies et les nouveaux matériaux réfractaires afin de réinterpréter la technique moulage à la cire perdue, procédé ancien et complexe à mettre en œuvre. Une des techniques mise au point a été exploitée par l’artiste Baker Wardlaw pour réaliser des pièces en verre, également présentes dans l’exposition. Les nouvelles technologies ont évidemment aussi leur importance dans la communication du projet. Le site internet de Heart of Glass a fait l’objet d’un effort particulier, chaque pièce ayant par exemple été documentée à 360° afin de permettre au visiteur de tourner virtuellement autour de l’échantillon.

MF : Quelles vous semblent être les limites dans l'utilisation des nouvelles technologies / technologies numériques dans la création en verre aujourd'hui ? Tout à la fois d’un point de vue « matériel » (l’accès, ou la qualité) et intellectuel (la façon d’intégrer les nouvelles technologies à un processus de création, etc.) ?

ASDM : Il est difficile d’opposer clairement nouvelle et ancienne technologie… Nous sommes aujourd’hui connectés en permanence au monde entier, mais paradoxalement des anciennes pratiques reviennent à la mode : moudre son café soi-même à la main, se déplacer avec un vélo volontairement rudimentaire. Cette cohabitation se rencontre également dans le design – Pour les étudiants de l’ECAL, il est parfaitement normal que l’aquarelle cohabite avec l’impression 3D… D’ailleurs la photographie argentique est redevenue à la mode après être tombée en désuétude pendant une dizaine d’années.

MF : L'utilisation des nouvelles technologies devrait-elle être accompagnée, selon vous, d'une réflexion critique sur les nouvelles technologies elles-mêmes en termes social, politique, écologique, économique, etc. ?

ASDM : Comme dit précédemment, il me paraît difficile d’isoler les nouvelles technologies tant elles font partie intégrantes de nos vies, et donc des processus de créations. L’important me semble surtout d’essayer d’utiliser des outils au mieux.

MF : Je suis allé consulter de la documentation sur Heart of Glass, le catalogue et le site. Si je résume bien, vous avez donc conduit ce projet sur deux années, offrant la possibilité aux étudiants, au travers de workshop, accompagnés et guidés par des designers, des artistes, des techniciens, des chercheurs, pour expérimenter, développer méthodes et hypothèses, trouver des voies, en utilisant entre autres des technologies numériques, dans le but de tester les potentialités du verre, d’ouvrir des nouvelles perspectives dans le monde du verre.  Mis en situation dans différents contextes, les étudiants ont produit des objets qui ont ensuite été exposés, comme « créations » et « résultats d’une expérience de recherche-action ». Si je ne me trompe pas, l’exposition et le site internet éponyme (heart of glass – en référence au film de W. Herzog ?), fonctionne comme un tout, poursuivant la dimension prospective du projet en disséminant les idées et expériences qui y sont contenues.

J’entends bien par ailleurs votre positionnement. Les technologies numériques sont des outils, des moyens parmi d’autres, comme les autres technologies, aucunement une fin. En outre, les technologies dont on parle ne sont plus désormais « nouvelles » mais « en cours d’évolution ». Cela dit, le fait d’utiliser ces technologies, avec leurs potentialités spécifiques, peut modifier les habitudes, pratiques. Comme vous l’avez dit vous-même, elles changent la manière de travailler des designers. Certains attirent l’attention sur le fait que ces usages peuvent engendrer des nouvelles façons de penser les savoir-faire, les mises en œuvres, de penser le processus qui conduit à la réalisation d’une œuvre ou d’un objet. Ces œuvres ou objets peuvent « porter » en eux la charge du processus qui les a vus naître (comme pour toute technologie) et jouer sur les perceptions et représentations.

Je vous demanderai simplement, pour conclure, d’une part si mes considérations sur le projet et votre pensée sont bien exactes, et d’autre part, qu’est-ce qui vous a semblé manifeste et essentiel en termes de design, entre autres réalisé avec des technologies numériques, au sortir de l’expérience de recherche que constitue Heart of glass ?

ASDM : Effectivement, je pense que les savoir-faire, loin d’être devenus obsolètes, ont encore de beaux jours devant eux à condition qu’ils évoluent avec leur temps. Il est aujourd’hui normal pour un artisan travaillant avec des matériaux dont l’usage est très ancien, de faire appel à des techniques de pointes pour certaines parties du processus de travail. Heart of Glass a permis de mettre cela en lumière pour le domaine du verre et d’explorer de nouvelles pistes d’interpolations entre artisanat et technologies. C’est un point de départ, nous verrons avec le recul si certaines de ces expériences ont ouvert de nouvelles possibilités.