Entretien avec Bathsheba Grossman (Mars 2016)

Entretien avec Bathsheba Grossman (Mars 2016)


Manuel Fadat : Chère Bathsheba. Nous avons mené une étude concernant les créations associant le verre et les nouvelles technologies dans la création contemporaine, à l'ère “digitale”. L'idée est d'observer ce qui a lieu quand les artistes choisissent de combiner ces deux champs, dans toutes les dimensions (esthétique, artistique, poétique, plastique, symbolique, critique, économique, écologique) et dans toutes les configurations (verriers utilisant des outils numériques ou designers, artistes, makers qui combinent outils numériques et verre…). Pouvez vous nous dire quelles sont les technologies dont vous faites usage, pourquoi vous les avez choisies et quelle est leur place dans votre démarche ? La relation avec les technologies a-t-elle été une question importante dans votre pratique ?

Bathsheba Grossman : J'utilise la gravure au laser subsurface pour l'illustration scientifique. Je ne décris pas ce travail comme faisant partie des beaux-arts - ma contribution est une contribution technique, pour présenter des données de manière aussi magnifique que possible - mais la pratique de l'illustration est ancienne et nécessaire. Ce type de gravure est l'un des rares médias vraiment libres pour rendre la 3D. La force particulière du verre gravé au laser est qu'il peut rendre des données 3D sans souffrir des problèmes structurels de l'impression 3D ou du casting (verre coulé dans un moule), ce qui est rendu n'a pas besoin d'être connecté. Ceci est parfait pour des isosurfaces, nuages de points déconnectés, etc. J'utilise aussi le verre fusionné dans des moules en céramique, en combinaison avec des impressions 3D en acier. Cependant, j'ai commencé très récemment, et je ne me considère pas comme une artiste mature.

MF : Pouvons-nous dire selon vous que les outils numériques influencent la forme, le sens ?

BG : Certes, les capacités de chaque élément spécifique du logiciel et du matériel déterminent ce qui est possible, et sûrement cela limite la forme. Signification ? Eh bien, je fais des objets. Je laisse la sémantique aux spectateurs, critiques, historiens.

MF : Qu'est-ce-que les outils numériques apportent dans la création en verre, spécifiquement ? Pensez vous que les nouvelles technologies peuvent enrichir le domaine de la création en verre (dimensions esthétiques, artistiques, formelles) ?

BG : La gravure laser nous permet de dessiner des choses qui, tout simplement, ne pourraient pas être représentées physiquement du tout sans elle. Ceci est sans aucun doute un enrichissement.

MF : Quelles sont les limites dans l'usage des technologies digitales dans l'art du verre aujourd'hui ?

BG : Bien sûr, nous sommes tous impatients de voir arriver les impressions 3D en verre de qualité. Cela a été tenté plusieurs fois sans succès commercial, en raison de matériaux médiocres et peu attrayants, des limites formelles, et des prix élevés. Nous attendons avec espoir, et quoi qu'il en soit les nouvelles technologies présenteront certainement de sérieuses limites, comme toutes les technologies d'impression 3D.

MF : L'usage des nouvelles technologies devrait-être accompagné par une réflexion critique sur les nouvelles technologies elles-mêmes au plan social, politique, écologique, économique ?

BG : Je ne suis pas sûre que ce soit l'affaire des artistes d'évaluer la technologie en matière de politique ou d'économique. Nous pouvons commenter, mais sommes-nous des experts fiables ? Rarement. Sauf si une nouvelle technologie, d'elle-même, nuit clairement aux personnes ou à l'écologie, je ne pense pas que nous avons le devoir de critiquer - l'artiste le plus individuel peut dire : « Cela ne fonctionne pas pour moi ». Les usages des technologies sont souvent distincts de leurs natures intrinsèques : un nouvel appareil photo merveilleux peut être utilisé pour pour la photographie d'oiseaux ou pour faire des photographies érotiques (l'artiste emplie le mot « upskirt », argot signifiant « sous les jupes »), est ce que l'une de ces choses est mieux que l'autre ? L'évaluation de ces situations dépend de chacun, et pas seulement de artiste.

MF : Peut-être pouvez vous nous donner des exemples pertinents à vos yeux de travaux, d'expérimentations ?

BG : Voici quelques modèles que j'ai réalisé : https://sketchfab.com/bathsheba/models. Si vous êtes intéressé par «data physicalization», qui est le nom de mon travail, voici une liste : http://dataphys.org/wiki/People. Une variété sauvage d'approches acoustiques, visuelles, textuelles, combinées, sont représentées.

English Version :

Manuel Fadat : We have made a research concerning contemporary creations combining "glass" and "new technologies" (“in the digital age”). The idea is to observe what happens when artists choose to combine these two fields in all the dimensions (aesthetic, artistic, poetic, plastic, symbolic, critic, but also, wy not, economic, ecologic), and all the configurations (glass artist using digital tools or designer, artists, makers who combine digital tools and glass). Could you tell us which digital technologies you use, why did you choose these technologies and what is their place in your statement ? The relationship with technology has been an important issue in your practice ?

Bathsheba Grossman : I use subsurface laser etching in glass, to do scientific illustration. I don't describe this work as fine art – my contribution is the technical knowledge that is needed to present data as beautifully as possible – but the practice of illustration is ancient and necessary. This type of etching is one of very few media which are truly free in three dimensions. The particular strength of laser etched glass is that it can render 3D data without reference to structural issues : unlike 3D printing or casting, what's being rendered doesn't need to be connected in any way. This is perfect for isosurfaces, disconnected point clouds, etc. I also use fused glass, made in ceramic molds, in conjunction with steel 3D prints. However I started doing this very recently, and here I don't consider myself a mature artist.

MF : Can we say that these digital tools influence the form, the meaning ?

BG : Certainly the capabilities of each specific piece of software and hardware determine what is possible, and surely that limits form. Meaning ? Well, I make objects. I leave semantics to viewers, critics and historians.

MF : What digital tools bring into the glass creation, specifically ? Do you think that new technologies can enrich the glass creation (aesthetic, artistic, formal, dimensions) ?

BG : Laser etching enables us to drawing things which simply could not be represented physically at all without it. This is undoubtably an enrichment.

MF : Which are the limits in the use of digital technologies in glass art today?

BG : Of course we are all waiting for proper 3D printing in glass. It has been tried several times without commercial success, due to weak and unattractive materials, limits on form, and high prices. We wait in hope, and whatever new technology arrives will certainly have severe limitations, as all 3D printing technologies do.

MF : The use of new technologies should be accompanied by critical reflection on new technologies themselves in social, political, ecological, economic, terms ?

BG : I'm not sure it is the business of artists to evaluate technology in political or economic terms. We may comment, but are we reliable experts ? Rarely. Unless a new technology, of itself, clearly harms people or the ecology, I don't think we have a duty to criticize – the most an individual artist may say is « That doesn't work for me. » Uses of technology are quite separate from their intrinsic nature : a great new camera can be used for for bird photography or for upskirt shots, and one of these things is better than the other, and evaluating such situations is everyone's duty, not just that of artist.

MF : May be could you give us some relevant examples of artists, works or experiments ?

BG : Here are some models by me, https://sketchfab.com/bathsheba/models. If you are interested in « data physicalization », which is the name of my job, there's a curated list here: http://dataphys.org/wiki/People. A wild variety of acoustic, visual, textual, combined and other approaches are represented.

Image : Bathsheba Grossman - Calabi-Yau