Freespace, retours sur la biennale d’architecture

Freespace, retours sur la biennale d’architecture


Biennale d'architecture de Venise 2018

Commissaires : Yvonne Farrel et Shelly McNamarra

English version below

En 2017, Oudeis avait fait le déplacement à Venise pour la biennale d'art contemporain tandis que nous démarrions notre cycle sur Exposition & automatisation. La réflexion que nous nous étions faite alors, était que notre position dans le champ de la création est complexe, transversale et que nous trouvions beaucoup de satisfaction dans l'opérabilité de l'art, tout du moins dans les tentatives de créer d'autres rapports à la société. L'architecture et le design sont des arts appliqués et répondent en cela à des problématiques d'usage tout autant que d'esthétique. Nous avions donc l'intuition que s'intéresser à ces disciplines dans le cadre de notre recherche prenait du sens.

 

Petit rappel Exposition & automatisation, ici.

La biennale d'architecture de Venise présente, dans plusieurs lieux (principalement les Giardini et l'Arsenal) et sous forme de pavillons par pays, des projets architecturaux. Notre intérêt s'est porté sur la façon de rendre compte de ces projets. Et nombreuses sont les potentielles expressions qui peuvent être produites en relation avec, qui ne peuvent qu'être représentés sous forme de maquettes, de documents (entretiens, dessins, photos, vidéos), d'installations dérivées de la construction, etc. La plupart du temps, il s'agit de motiver des choix, de présenter les contraintes et les contextes, ainsi que les phases intermédiaires de recherche. C'est-à-dire montrer tout, sauf le « produit fini » dans son environnement. Exposer l'architecture revient donc à créer un espace intermédiaire.

 

L'architecture est une question de cohabitation. Faire exister dans le même espace des éléments hétérogènes, c'est aussi ce que produit une exposition. Tout le travail de commissariat et de scénographie réside dans la manière de faire cohabiter les œuvres. De l'harmonie, du chaos, de la contradiction, du discursif, du didactique, etc. les façons de générer du parcours sont multiples. Et la biennale a justement offert cette multitude d'approches avec, bien sûr, plus ou moins de réussite. La contrainte forte des espaces partagés a ainsi engendré des micro-espaces « auto-portés », des espaces autonomes, construits pour isoler le spectateur dans une expérience : plate-formes, petits espaces aux effets optiques (jeux de miroir, perspectives et échelles), encerclement et immersion. La grande majorité des cas utilisait les objets mêmes du projet comme support d'installation de sorte à ce que tout soit signifiant (matériaux, structure porteuse, reproduction d'un espace ou d'un élément de l'architecture ou de son écosystème). Une autre stratégie était d’adopter une forme plus sculpturale : maquettes et plans attirant le regard dans la quasi-intimité de ces reproductions. En miniaturisant, en apportant du détail, l'attention est forcée et concentrée sur l'objet faisant oublier l'extérieur, détachant le tout de son environnement immédiat. Ces façons de créer de nouveaux espaces autonomes sont inspirantes car supports et cloisonnements ne sont pas accessoires, ce qui peut être très utile dans des contextes d'exposition dans des lieux hors-normes et dans une optique de travail sur le point de vue.

 

Nous pouvons être à même de penser que l'architecture est un domaine intégrant avec force les innovations technologiques. Dans le cadre de cette biennale, c'est en toute discrétion que leur influence s'est faite ressentir : dans les modélisations (impressions 3D, gravures et fraiseuses numériques, reproduction de pattern végétal ou animal...) dans l'utilisation de données, dans les mises en scène multimédia. L'esprit dominant quant aux nouvelles technologies est celui que l'on pourrait retrouver dans les Fablabs : prototypage, DIY, matériaux bruts. Pas d'intelligence artificielle, de bâtiments connectés, de déploiement de matériaux intelligents, pas de spectacularisation (à quelques exceptions de marketing institutionnel)

Cet aspect low-tech ne nuit pas à la minutie et à la compréhension des propositions. Au contraire, il rappelle le principe de construction. Qui a déjà assisté à un chantier sait que les nombreuses étapes intermédiaires constituent des sortes de blocs imbriqués et des structures temporaires. La transformation ne se fait qu’à la toute fin. Or, les œuvres qui nous intéressent (des œuvres qui font appel au processus, à l’automatisation) fonctionnent de la même manière par superposition d’états : des états intermédiaires (en production), et des états finalisés (en exploitation). Dans le champ de la création contemporaine, nous sommes habitués aux états finis et parfois à leurs formes de documentation. Ce que réussissent certaines propositions de cette biennale, est la valorisation des étapes intermédiaires à la faveur d’un “projet”, d’un processus de pensée et d’un savoir faire.

Au-delà de l’argumentaire, donner accès à une information élargie sauve parfois une représentation déceptive. Le résultat peut être moins intéressant que le contexte. Dans la création contemporaine, c’est souvent alors le rôle du médiateur de créer cette connexion, de remplir par sa présence et sa parole, l’espace du récit de l’œuvre. Quels sont les outils pour donner accès à ce récit ? Les cartels, les audio-guides, les visites guidées, les dépliants ? Des formes que l’on souhaite discrètes et le moins disruptives possibles. Quel contraste alors avec le pavillon espagnol « becoming » tapissé de projets sous formes de croquis, photos, impressions de captures d’écran, un amas de posters en deux dimensions qui unifient l’espace tout en convoquant une multitude d’œuvres et d’expérimentations. C’est le processus de monstration qui a été répliqué de manière systématique, automatisé. Comme spectateur, on ne peut pas parcourir les affiches de manière exhaustive. Ce n’est pas l’objectif. On en ressort avec une impression globale tout en ayant pu accéder aux détails de ce qui pouvait attirer en particulier l’attention. Paradoxalement, cette façon très contemporaine d’occuper l’espace, que l’on retrouvait au pavillon français, rappelle un musée comme le Louvre où la surcharge oblige soit à la sélection, soit au renoncement de la compréhension au profits de la contemplation. Le pavillon mexicain proposait un schéma plus sobre et élégant tout en délivrant efficacement l’information à travers le matériaux minéral. Un fil conducteur scénographique, support du message et sculpture en soi.

 

Ce que nous pouvons retenir de cette biennale au regard d’Autorama, c’est d’abord tout l’intérêt pour la maquette comme espace en soi, mobile, reproductible, et scalable. Puis, concernant en particulier la scénographie et la commissariat d’exposition, on peut considérer des nouvelles pistes créatives pour relier les œuvres mais aussi leurs contextes. Enfin, même si la logique de projet est plus particulièrement associées aux arts appliqués comme le design ou l’architecture, on ne peut en ignorer l’importance dans les arts technologiques. Et elle est intéressante à rendre visible, comme cela a pu être le cas lors de cette biennale.

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French version
English version

In 2017, Oudeis made the trip to Venice for the biennale of contemporary art while we started our cycle on Exhibition & Automation. The reflection we had then made was that our position in the field of creation is complex, transversal, and that we find much satisfaction in the operability of art, at least in the attempts to create others reports to society. Architecture and design are applied arts and respond to issues of use as well as aesthetics. So we had the intuition that taking an interest in these disciplines as part of our research made sense.

The Biennale of Architecture in Venice presents, in several places (mainly Giardini and Arsenal) and in the form of pavilions by country, architectural projects. Our interest was in how to report on these projects. And there are many potential expressions that can be produced in relation to, which can only be represented in the form of models, documents (interviews, drawings, photos, videos), installations derived from construction, etc. Most of the time, it's about motivating choices, presenting the constraints and contexts, as well as the intermediate phases of research. That is, to show everything except the "finished product" in its environment. Expose the architecture is thus to create an intermediate space.

Architecture is a question of cohabitation. To make heterogeneous elements exist in the same space is also what an exhibition produces. All the work of curating and scenography lies in the way of cohabiting the works. Harmony, chaos, contradiction, discursive, didactic, etc. the ways to generate the course are multiple. And the biennale has just offered this multitude of approaches with, of course, more or less success. The strong constraint of shared spaces has thus generated "self-ported" micro-spaces, autonomous spaces, built to isolate the viewer in an experience: platforms, small spaces with optical effects (mirror games, perspectives and scales) , encirclement and immersion. The vast majority of cases used the very objects of the project as a support for installation so that everything is significant (materials, supporting structure, reproduction of a space or an element of the architecture or its ecosystem). Another strategy was to adopt a more sculptural form: models and shots drawing the eye in the near-intimacy of these reproductions. By miniaturizing, bringing detail, the attention is forced and focused on the object making forget the outside, detaching everything from its immediate environment. These ways of creating new autonomous spaces are inspiring because supports and partitions are not incidental, which can be very useful in contexts of exposure in non-standard places and in a perspective of work on the point of view.

We may be able to think that architecture is an area that strongly integrates technological innovations. As part of this biennial, it is in all discretion that their influence has been felt: in the modeling (3D printing, engraving and digital milling, reproduction of plant or animal pattern ...) in the use of data , in multimedia staging. The dominant spirit with regard to new technologies is the one that could be found in the Fablabs: prototyping, DIY, raw materials. No artificial intelligence, connected buildings, deployment of intelligent materials, no spectacularization (with some exceptions of institutional marketing) This low-tech aspect does not detract from the meticulousness and understanding of the proposals. On the contrary, it recalls the principle of construction. Whoever has already witnessed a construction site knows that the many intermediate steps are a kind of nested blocks and temporary structures. The transformation is only at the very end. However, the works we are interested in (works that use process, automation) work in the same way by superposition of states: intermediate states (in production), and finalized states (in operation). In the field of contemporary creation, we are used to finite states and sometimes to their forms of documentation. What some of the proposals of this biennale have achieved is the valorization of the intermediate stages through a "project", a process of thought and know-how.
Beyond the argument, giving access to expanded information sometimes saves a deceptive representation. The result may be less interesting than the context. In contemporary creation, it is often then the role of the mediator to create this connection, to fill by his presence and his word, the space of the narrative of the work. What are the tools to give access to this story? Cartels, audio guides, guided tours, leaflets? Shapes that we wish discrete and the least disruptive possible. What contrast then with the Spanish pavilion "becoming" carpeted projects in the form of sketches, photos, screenshots, a cluster of posters in two dimensions that unify the space while convening a multitude of works and experiments. It is the process of demonstration that has been replicated in a systematic, automated way. As a spectator, you can not browse the posters in an exhaustive way. This is not the goal. It comes out with a global impression while having access to details of what could attract particular attention. Paradoxically, this very contemporary way of occupying the space, which was found in the French pavilion, is reminiscent of a museum like the Louvre where overloading requires either the selection or the renunciation of understanding for the benefit of contemplation. The Mexican Pavilion proposed a more sober and elegant scheme while efficiently delivering information through the mineral material. A scenographic thread, support of the message and sculpture in itself.

What we can remember from this biennale with regard to Autorama, is first of all the interest for the model as a space in itself, mobile, reproducible, and scalable. Then, concerning in particular the scenography and the curation of exhibition, one can consider new creative tracks to connect the works but also their contexts. Finally, even if the project logic is more specifically associated with applied arts such as design or architecture, we can not ignore the importance in the technological arts. And it is interesting to make visible, as it may have been the case during this biennale.